mercredi 5 octobre 2011

Le rideau est retombé

L'excitation est au rendez-vous, la fébrilité à son comble. Personnellement, en transe, ou presque.

Je suis au milieu de la première plateforme au fond de la scène. On entend les spectateurs bavarder en s'installant dans la salle. Certains membres de ma famille et certains amis sont parmi eux. Je ne les entends pas et je n'ai pas besoin de les entendre, je sais qu'ils sont là.

Une voix leur souhaite la bienvenue et un bon spectacle par les haut-parleurs et leur demande de bien vouloir éteindre leurs appareils électroniques, tout en leur rappelant qu'il est interdit de prendre des photos ou de filmer pendant la représentation. Certains spectateurs ne suivront pas cette règle, c'est prévisible.

Le silence se fait dans la salle, les lumières de service se sont éteintes.
Le rideau s'ouvre. Je sens mon coeur battre dans ma poitrine. Un projecteur en douche illumine Robert pour que les gens puissent le voir lorsqu'il entamera la mélodie de sa voix douce. « Who will buy my sweet red roses? Two blooms for a penny. »
Ça y est, c'est parti, nous amorçons le spectacle avec la magnifique chanson Who will buy? de la pièce de théâtre musical Oliver!.

Les trois premiers numéros passent en un coup de vent, tout s'est bien déroulé. Je dois maintenant sortir de scène et me transformer en Esméralda. Enlève la jupe verte, le chandail et la camisole tous deux noirs et retire les souliers. Enfile la jupe rouge, la camisole et le chandail, blancs cette fois-ci. Ajuste le corsage. On a à peine trois minutes, mais c'est mission accomplie, surtout grâce à Maude qui m'assiste et qui a fait le corsage avec un magnifique velcro qui simplifie tant la chose.

Je suis de retour en coulisse pour la fin du numéro en cours. La musique cesse, les applaudissements fusent et la scène plonge dans l'obscurité. Je dois éviter la plateforme à ma droite, alors je m'enligne un tout petit peu vers la gauche. J'ai oublié le haut-parleur de scène avec lequel j'entre violemment en collision. L'impact soulève un des coins du haut-parleur qui retombe instantanément sur mon gros orteil droit. Il fallait s'y attendre, je ne cesse de trouver de nouvelles façons de me faire mal, mais maintenant? « The show must go on », dit-on.

Je m'installe sur scène et je suis un accessoire pendant que trois hommes merveilleux chantent Belle, de Notre-Dame de Paris derrière moi. Je les entends à tour de rôle; la voix passionnée d'Alexandre mon Quasimodo, la voix riche de Tommy mon Frollo, puis la voix fébrile de Samuel mon Phoebus. Ils chantent, ils quittent, je me retrouve seule pour chanter Vivre, de la même comédie-musicale.

La chanson commence, je pense trop à ce que je fais, ce n'est pas une bonne chose. Je m'observe jouer, je suis trop dans ma tête. Ça m'arrive trop souvent à mon goût, alors je décide de lâcher prise. On n'a qu'une seule représentation, j'aime bien cette chanson et je suis fière du travail et des efforts que j'y ai consacrés. Je décide de leur montrer et je réussi à m'abandonner quelques instants. J'aurais pu faire mieux, je le sais, mais au bout du compte, je suis contente de ce que j'ai présenté.

La chanson se termine, je suis prête « à en mourir d'amour ». Alors, je me retourne, je vois Alexandre, mon Quasimodo, et je meurs dans ses bras pour qu'il puisse chanter Danse mon Esméralda. Il m'enlace, me berce et serre contre lui. Il chante de tout son être l'amour de Quasimodo pour Esméralda. J'entends son coeur battre et je sens sa voix qui vibre dans sa poitrine. Mon épaule écrase mon micro-casque dans mon oreille, c'est douloureux, mais ça m'importe peu, l'émotion prend toute la place. Je me retiens pour ne pas pleurer, comme je l'ai fait à quelques reprises en répétitions, puisque les morts ne pleurent pas. C'est une expérience sublime que celle de vivre l'art de quelqu'un d'autre, d'un ami, de si près. Cette chanson se termine, nous sortons de scène, nous permettons le luxe d'un bref câlin, puis je dois courir en coulisses pour me changer encore une fois.

Le reste du spectacle, tout comme le début, passe en un éclair. La majorité se déroule sans embûche. Et c'est déjà fini.

Je désirais partager cette expérience unique. J'en garde un peu pour moi, peut-être pour plus tard.

Pour ceux qui aiment jouer, faites-le! Vous méritez ces expériences extraordinaires aussi souvent que vous le pouvez.
Pour ceux qui préfèrent y assister, nous avons besoin de vous comme spectateurs avec qui partager ces moments.
Pour mes collègues du spectacle « Célébration : Broadway! », ceci est mon ode à l'amour de vous! J'ai dû faire des choix pour l'écriture de ce billet, mais sachez que vous avez tous marqué les dernières semaines par votre présence. Vous êtes des artistes magnifiques et des amis précieux. Vous me manquez déjà, je vous aime.

Laurence

4 commentaires:

  1. Et après on me dit que les passions sont accessoire? :-) Beau Texte Laurence..! J'ai ris a ta maladresse et regretté de voir ta mort... On sent bien la passion qui t'habite..! :)

    RépondreSupprimer
  2. Merci Alain! Tu es famillier avec ma maladresse ;-) Je suis contente que tu aies apprécié mon billet! Maintenant il va falloir que tu viennes voir un prochain spectacle pour voir la passion (ou les accidents;-) "live"
    Merci pour le commentaire, je l'apprécie!

    RépondreSupprimer
  3. Salut Laurence,
    je vois tous tes spectacles, et chaque fois ton amour pour la scène et ton talent me fais pleurer! Tu aimes passionnément le théâtre et j'aime passionnément te regarder! Je ne pensais pas que te lire m'émouvrais autant, par contre. C'est fascinant de lire tout ce que tu ressens!! C'est même plus personnel que lorsque tu m'en parle!
    Je t'adore ma chérie et j'adore ton blog!!
    Marianne
    xxxxx

    RépondreSupprimer
  4. Merci pour ton commentaire Marianne!

    Je suis contente que mon blogue te plaise et je t'adore aussi!

    Laurence
    xxxxx

    RépondreSupprimer